Home » Notícias

“Le Monde” amanhã: Portugal – Serviço público, serviço precário

23 de Novembro de 2010


O diário “Le Monde” dedica uma página inteira da sua edição de amanhã à caracterização da situação laboral da população activa portuguesa, com destaque para os famigerados recibos verdes. O jornalista chama a atenção para o facto de muitos trabalhadores com vínculo precário, os que têm mais razões para aderir à greve geral,  se verem forçados a trabalhar com medo das consequências.

Portugal

Service public, service précaire

Pour la première fois depuis la révolution de 1974, les syndicats appellent à la grève générale, le 24 novembre. Contre les mesures d’austérité et la précarisation de l’emploi, y compris dans le secteur public

S’ils se mobilisaient, la grève générale du mercredi 24 novembre figerait le Portugal. S’ils pouvaient se manifester, le pays constaterait à ses dépens que sa population active, de cinq millions de personnes, est désormais composée d’un gros tiers de travailleurs précaires. Mais ceux qui ont le plus à se plaindre de la crise économique sont aussi ceux qui osent le moins s’exprimer. Par crainte de perdre leur emploi, par peur des rétorsions, par lassitude aussi, ils ne s’associeront pas, dans leur immense majorité, à ce mouvement de protestation contre la rigueur extrême décidée par le gouvernement.

Le plus gros des piquets de la première grève générale à laquelle appellent conjointement les deux principaux syndicats du pays, depuis la révolution de 1974, sera fourni par des agents de la fonction publique. Pour défendre la grande forteresse dans laquelle, jadis, tous les Portugais rêvaient de pénétrer pour disposer d’un emploi protégé à vie. C’était avant que l’Etat relève le pont-levis, pour résorber son déficit.

Depuis cinq ans, presque plus personne n’entre dans la citadelle. Elle se vide lentement de ses fonctionnaires, au gré des départs à la retraite. Et, à ses pieds, s’étendent les campements toujours plus vastes des serfs, qui font le même métier que ceux qui sont derrière les murs, sans jouir des mêmes droits, des mêmes salaires et des mêmes carrières. Comme un symbole de ce Portugal où cohabitent, selon le sociologue Antonio Barreto, ” 40 % d’employés qui ne risquent strictement rien, et 40 % d’actifs exposés à tous les dangers du monde du travail “.

Victor Miranda est l’un de ces nombreux précaires des services publics, et l’un des rares à porter leurs revendications au sein d’un syndicat. Cela lui vaut des frustrations lorsqu’il entend ses camarades du Syndicat des professeurs du Grand Lisbonne (SGPL, affilié à la CGTP, principale organisation du pays, proche du Parti communiste) défendre des protections auxquelles il ne rêve même plus.

Cela lui offre aussi des victoires, comme celle d’avoir obtenu le droit de tirer des affiches appelant à la grève au nom des précaires du SGPL. Mais quand il a fallu orner les slogans d’une photographie, aucun de ses camarades d’infortune n’a voulu sortir de l’anonymat. Il a dû utiliser son propre portrait. ” On est à l’époque de Facebook, où tout le monde raconte les détails de sa vie en ligne, dit-il. Mais les gens ont toujours aussi peur d’exposer leurs difficultés sociales à visage découvert. “

Lui ne cache rien des siennes. A 37 ans, Victor Miranda est précaire de l’éducation nationale depuis quinze années. A chaque rentrée, il signe un contrat de vacataire pour enseigner le portugais à des élèves de 10 à 13 ans, dans un établissement chaque fois différent. L’Etat lui verse un salaire mensuel de 1 100 euros, qui n’évolue pas et représente environ 400 euros de moins qu’un fonctionnaire à expérience égale. Avec cette somme, son budget ressemble à celui du Portugal : Victor Miranda est endetté et il a un mal fou à boucler ses fins de mois.

Il lui faut en effet déduire les 550 euros de remboursement du crédit sur trente ans, qui lui a permis d’acheter sa maison, en banlieue de Lisbonne. ” Tout le monde a fait comme ça jusqu’en 2005, explique ce célibataire. Avec le crédit facile, on empruntait à long terme parce que c’était beaucoup plus avantageux que de payer un loyer, hors de prix en ville. Mais, maintenant, une fois que j’ai réglé l’eau, l’électricité, la nourriture et les impôts en hausse, mon compte est à zéro bien avant qu’arrive le salaire suivant.

Cela pèse peu par rapport au sentiment d’être floué par son unique employeur. ” Dans le privé, l’Etat oblige les entreprises à embaucher au bout du troisième contrat. S’il s’appliquait les mêmes règles, je serais régularisé depuis très longtemps. “ Le ministère manipule le nombre de postes ouverts au recrutement. ” Officiellement, il affiche de si petits besoins qu’il n’organise plus de concours de professeurs que tous les quatre ans. Cela n’empêche pas que, toutes les fins d’été, on voit arriver le nombre sans cesse croissant de places offertes aux vacataires. “ Celui-ci a presque doublé chaque année depuis quatre ans, passant de 2 700, en 2006, à plus de 17 000 en 2010. Selon Victor Miranda, ” la moyenne du nombre de vacataires est de 40 % dans les établissements de Lisbonne “. Et ceux-ci ont récemment laissé pénétrer en leurs murs le mode de rémunération des travailleurs précaires le plus décrié, symbole, dans tout le pays, de l’érosion continue de l’emploi stable par la crise : les ” recibos verdes “, les reçus verts.

” Ce sont de telles cochonneries que même leur nom est faux : ils ne sont même pas verts “, s’emporte le politologue Manuel Villaverde Cabral, en brandissant le carnet de coupons blancs qui lui servent à facturer les publications qui arrondissent sa retraite. Ces reçus avaient été conçus pour les travailleurs indépendants. Ils ont été massivement adoptés par les entreprises, qui se transforment ainsi en clientes de leurs employés. Ceux-ci leur facturent leurs prestations sans être protégés par un contrat, sans disposer d’aucune des couvertures réservées aux salariés : maladie, retraite, chômage.

La fonction publique a également usé de ces ” faux reçus verts “. Faux, parce qu’ils sont utilisés illégalement lorsqu’ils servent à rémunérer des salariés qui ont toujours le même patron, qui travaillent dans les bureaux et avec le matériel de leur employeur. Vilipendé pour cette tricherie, l’Etat leur substitue aujourd’hui d’autres formes de contrats précaires. Sauf dans l’éducation, où les ” reçus verts “ ont fait une percée récente.

” Dans les écoles élémentaires, les cours s’arrêtent à 15 heures. Mais comme les parents travaillent et qu’avec la crise ils ne peuvent pas payer une nounou, l’Etat a allongé les journées avec des enseignements supplémentaires comme l’anglais, la musique, la gym. Ceux-ci sont dispensés par des “reçus verts” “, explique Ana Patricia Filipe. Cette jeune femme de 32 ans donne ainsi deux heures de cours de musique par jour, pour un montant mensuel de 500 euros, un peu supérieur au salaire minimal (475 euros). Cette somme lui est versée par une association, qui touche les subsides que la mairie a reçus de l’Etat. Dans une opacité complète : ” Selon l’association ou l’entreprise à qui vous remettez vos reçus verts, le montant horaire peut varier de plusieurs euros. “

Sur ce total, Ana Patricia est censée déduire 150 euros pour sa cotisation à la Sécurité sociale, obligatoire au Portugal. Mais comme nombre de précaires, elle ignore les courriers de relance des services de l’Etat et ne règle pas cette somme qui amputerait trop le budget du couple qu’elle forme avec un employé de la mairie de Lisbonne. Elle ne tient pas à dépendre de l’aide de son père, émigré récent comme chef de chantier en Angola, après sa retraite de docker sur le port de Setubal, au sud de Lisbonne. Lui, envoie de l’argent à sa mère et à son frère licencié par l’industrie automobile. ” Il n’y a plus rien que le tourisme à Setubal, dit-elle. Les pêcheries ont périclité, les usines ferment. C’est un tel désert que tout le monde cherche du travail à Lisbonne. Elle y survit de ses ” recibos verdes “ en attendant mieux.

Pour elle, le plus dur est l’impression que l’on cherche à profiter de l’isolement des précaires pour obtenir toujours davantage de cette main-d’oeuvre à bas coût. ” On nous demande maintenant de surveiller les récréations, sans augmentation. Les évaluations non plus ne sont pas payées, de même que les fêtes et leurs heures de rangement. “ Depuis la rentrée, elle a enseigné sans matériel, fournissant elle-même le papier, avant que celui-ci n’arrive il y a quelques jours. Dans l’école, le personnel permanent ne marque guère de solidarité, comme si deux mondes se côtoyaient sans se voir.

Maria Joao, 27 ans, ressent la même chose depuis qu’elle travaille comme infirmière à l’hôpital Santa Maria. D’emblée, elle a compris qu’elle ne serait jamais sur un pied d’égalité avec ses collègues embauchées comme agents publics, quelques années plus tôt. Maria n’a signé, comme toutes les nouvelles, qu’un contrat à ” terme incertain “, qui peut être rompu à tout moment par chacune des parties, moyennant indemnité.

Elle accomplit exactement les mêmes activités que les autres, mais dispose d’une assurance-maladie de moins bonne qualité et sait que ses 1 000 euros mensuels (sur quatorze mois, comme souvent au Portugal) sont voués à ne jamais évoluer. C’est ce manque de reconnaissance qui la fait souffrir, doublé d’un sentiment d’injustice lorsqu’elle constate qu’une diététicienne, à cursus identique, est mieux payée qu’elle. Simplement parce que cette profession, beaucoup moins nombreuse, pèse moins dans le budget déficitaire, de la santé.

Pour ne pas obérer davantage celui de la recherche, Andre Levy est, lui, traité comme un autre genre de variable d’ajustement. Ce chercheur en éthologie est, à 38 ans, toujours boursier, comme à l’époque où il étudiait à New York. ” Je me sens comme un éternel étudiant, et pas comme un vrai travailleur. J’ai l’impression d’être bloqué à vie avec le même salaire. “ Celui-ci n’est pas mauvais : environ 1 500 euros sur douze mois. L’an dernier, Andre l’a arrondi en s’affublant d’une barbe blanche. Il faisait Darwin au Musée des sciences de Lisbonne, gros succès en cette année de bicentenaire de la naissance du savant, réglé en ” recibos verdes “. Cette année, il organise, avec l’association qu’il codirige, la résistance aux pressions des universités qui voudraient que les boursiers assurent gratuitement des cours en faculté. ” Ils veulent nous faire croire que c’est bon pour nos dossiers, mais c’est juste une nouvelle manière d’économiser des postes. “

Plusieurs mouvements tentent ainsi de fédérer les précaires. A Lisbonne, ces derniers jours, les appels à la grève générale les plus nombreux et les plus visibles étaient l’oeuvre des ” précaires inflexibles “ animés par Tiago Gillot, 32 ans. ” Nous essayons d’inventer les moyens de briser l’isolement et la peur des populations les plus fragilisées “, dit ce dernier. Pour que le pays qui fait grève n’oublie pas son autre part, la plus exposée à la crise.

Jérôme Fenoglio

Imprima esta página Imprima esta página

Comente esta notícia.

Escreva o seu comentário, ou linque para a notícia do seu site. Pode também subscrever os comentários subscrever comentários via RSS.

Agradecemos que o seu comentário esteja em consonância com o tema. Os comentários serão filtrados, antes de serem aprovados, apenas para evitar problemas relacionados com SPAM.